L’influence de l’épopée anglo-saxonne Beowulf sur l’œuvre de J.R.R. Tolkien, notamment Le Seigneur des Anneaux, est indéniable. Tolkien, philologue spécialisé dans les langues germaniques anciennes, a non seulement étudié Beowulf en profondeur, mais il a également intégré ses thèmes, motifs et structures dans son propre univers littéraire. Cet article explore les parallèles significatifs entre ces deux œuvres monumentales.
Héros et Monstres : Une lutte intemporelle entre le bien et le mal
Dans Beowulf, le héros éponyme affronte trois adversaires majeurs : Grendel, la mère de Grendel et un dragon. Ces combats incarnent la lutte entre le bien et le mal, thème central également dans Le Seigneur des Anneaux. Gandalf, par exemple, rappelle Beowulf dans son combat contre le Balrog dans les mines de la Moria. Comme Beowulf face à Grendel ou au dragon, Gandalf descend dans les profondeurs pour affronter une créature monstrueuse et en ressort victorieux, mais au prix de sa propre vie temporaire.
De même, Smaug dans Le Hobbit partage de nombreuses caractéristiques avec le dragon de Beowulf. Tous deux sont des gardiens d’un trésor, provoqués par un vol (le vol d’une coupe d’or dans les deux récits), et leur mort entraîne des conséquences tragiques pour leurs adversaires humains.
La culture héroïque : Courage, loyauté et sacrifice
Beowulf met en avant un code héroïque basé sur le courage, la loyauté et le sacrifice. Ces valeurs se retrouvent chez les personnages de Tolkien, notamment Aragorn et Frodo. Aragorn incarne le roi idéal, prêt à risquer sa vie pour sauver son peuple, tandis que Frodo accepte une mission quasi suicidaire pour détruire l’Anneau unique. Ces figures rappellent Beowulf lui-même, qui se sacrifie pour protéger son royaume contre le dragon.
Wiglaf, compagnon loyal de Beowulf lors de son dernier combat, trouve un écho chez Sam Gamegie, fidèle compagnon de Frodo. Tous deux symbolisent la loyauté indéfectible face à l’adversité.
Rohan : Une réminiscence d’Heorot
Le royaume de Rohan dans Le Seigneur des Anneaux est profondément ancré dans la culture anglo-saxonne décrite dans Beowulf. La salle du trône de Théoden, Meduseld (qui signifie "mead hall" en vieil anglais), rappelle Heorot, la grande salle du roi Hrothgar où Beowulf affronte Grendel. Tout comme Heorot est menacé par Grendel, Meduseld est plongée dans la décadence sous l’influence corruptrice de Gríma Wormtongue et Saruman.
La restauration de Théoden par Gandalf reflète également l’intervention salvatrice de Beowulf pour libérer Heorot du chaos. Les noms des Rohirrim (Éomer, Éowyn) sont directement inspirés du vieil anglais, renforçant ce lien culturel.
Un monde en déclin : L’élégie du passé
Tolkien partage avec le poète de Beowulf une vision élégiaque du monde. Dans les deux œuvres, le passé est glorifié comme une époque de grandeur perdue. Dans Beowulf, Wiglaf prédit la chute imminente du royaume après la mort du héros. De même, dans Le Seigneur des Anneaux, les grands royaumes comme Gondor ou les forêts elfes sont des vestiges d’une époque révolue.
Cette mélancolie face à la perte irréversible est omniprésente chez Tolkien : les elfes quittent la Terre du Milieu pour Valinor, emportant avec eux une part essentielle de sa magie et de sa splendeur.
Symbolisme et profondeur narrative
Tolkien admirait la capacité de Beowulf à transmettre un symbolisme puissant sans devenir allégorique. Il a appliqué cette approche dans son propre travail en construisant un récit riche en significations multiples. Par exemple, la route évoquée dans The Old Walking Song reflète à la fois le voyage physique et symbolique de la vie humaine — une idée qui trouve son parallèle dans le parcours héroïque et tragique de Beowulf.
Conclusion
L’héritage de Beowulf imprègne profondément l’univers du Seigneur des Anneaux. En s’appuyant sur cette épopée médiévale, Tolkien a non seulement rendu hommage à une œuvre qu’il vénérait mais a aussi créé un récit original qui transcende son inspiration première. Ces échos entre les deux textes rappellent que certaines thématiques — courage face à l’adversité, lutte entre le bien et le mal ou encore nostalgie d’un âge d’or perdu — restent universelles et intemporelles.